Figure incontournable du féminisme contemporain, Ovidie partage ses réflexions sur l’industrie pornographique, l’impact du mouvement #MeToo, et la manière dont la jeunesse s’approprie aujourd’hui les combats pour l’émancipation. Ovidie est l’invitée de Clique à l’occasion de son Emmy Award pour la série qu’elle réalise, « Des gens bien ordinaires ». Ancienne actrice X devenue réalisatrice, écrivaine et militante, elle incarne une pensée libre, critique et profondément humaniste, qui interroge les rapports de pouvoir, les représentations genrées et l’évolution sociétale.

Clique revient avec Ovidie sur les points forts de son témoignage : la déconstruction des clichés sur le porno, la réception de son œuvre engagée, le poids du sexisme dans les médias, l’évolution de la parole féminine et l’espoir qu’elle place dans la génération Z.

Le porno : entre stigmatisation sociale et monopole masculin

Pour Ovidie, il n’a jamais été question de fantasme personnel lorsqu’elle a intégré l’industrie pornographique. Elle y voyait une performance corporelle, un espace d’expression physique. Mais cette industrie, selon elle, reste l’une des plus méprisées socialement.

« Je crois que le dernier des punks est mieux accepté que les travailleurs du porno. »

Son passage derrière la caméra est motivé par une volonté de reprendre le contrôle de la narration, de ne pas abandonner cet espace aux seuls hommes. Elle dénonce un système dominé par des multinationales, notamment à travers son documentaire Pornocratie, révélant que 99 % du porno mondial est contrôlé par deux grandes entreprises opaques, installées dans des paradis fiscaux.

Elle pointe aussi l’incapacité de l’État à réguler ces géants du web pornographique, malgré les menaces de sanctions de l’ARCOM. Ces plateformes continuent d’agir dans une quasi-impunité.

« Ils sont complètement au-dessus des lois, comme toutes les GAFAM. »

La parole féminine : entre libération, douleur et responsabilité

Depuis la sortie de ses œuvres, Ovidie reçoit de nombreux témoignages de femmes. Des récits souvent douloureux, marqués par les violences sexuelles ou les formes d’auto-dénigrement liées aux injonctions patriarcales.

« Je reçois beaucoup de témoignages de femmes qui se sont trop pliées aux injonctions sexuelles. »

Elle reconnaît la difficulté de recevoir une parole aussi lourde sans être psychologue. Pourtant, ces messages témoignent d’un besoin vital d’expression dans une société qui a longtemps fait taire les victimes.

MeToo : une onde de choc salutaire

Le mouvement #MeToo a transformé le paysage culturel. Selon Ovidie, il a permis de faire émerger des concepts qui étaient autrefois réservés aux cercles militants : consentement, mansplaining, slut-shaming, etc.

« Aujourd’hui, des jeunes filles emploient spontanément des termes autrefois militants. Ce langage est devenu celui de l’émancipation. »

Si dans certaines sphères, comme les séries et les documentaires, les mentalités évoluent, le cinéma traditionnel français reste, selon elle, plus lent à changer. Elle cite l’affaire Polanski, les réactions tardives face à Gérard Depardieu et souligne l’importance du geste de Judith Godrèche au Festival de Cannes.

La génération Z : porteuse d’espoir

Malgré les critiques à leur encontre, Ovidie affirme avoir bon espoir en la génération Z, celle qui a grandi avec le mouvement #MeToo comme toile de fond.

« Ce sont eux et elles qui vont changer le monde, et vivement qu’ils nous foutent dehors du balai. »

Elle observe une circulation d’idées nouvelles sur les réseaux sociaux, une prise de conscience collective, même en dehors des cercles militants. Si être adolescent reste un défi, les jeunes d’aujourd’hui possèdent des outils et une conscience politique bien plus avancés que les générations précédentes.

Femmes et chiens : une analogie saisissante dans son dernier ouvrage

Dans Assise, debout, couchée, Ovidie explore un parallèle inédit : la place des femmes et des chiens dans la société. À travers des anecdotes personnelles et une analyse sociologique, elle met en lumière les similitudes entre la condition féminine et la condition canine.

« Les violences intrafamiliales sont souvent corrélées aux violences envers les chiens. »

Elle souligne aussi la puissance symbolique du chien dans l’histoire des femmes : compagnon protecteur, confident silencieux, rempart contre la violence masculine.

La chienne et le chien : la lecture des insultes. Le livre questionne aussi les insultes sexistes comme « sale chienne » ou « en chien », et ce qu’elles révèlent des rapports de domination sexuelle.

« La chienne, c’est celle qui couche trop. Le chien, celui qui ne couche pas assez. »

Peut-on juger un chien ? Réflexion autour de la pop culture canine

L’interview explore également la place du chien dans la culture populaire : des films, publicités, aux faits divers tragiques. Ovidie évoque notamment le cas de Curtis, un chien soupçonné d’avoir tué une femme enceinte, soulevant la question de la responsabilité humaine derrière les comportements canins.

Elle revient également sur Diesel, le chien du RAID, mort lors des attentats de 2015, saluant son courage tout en s’interrogeant : « Les médailles valent-elles plus que la vie de l’animal ? »

Quand l’intime devient politique

Enfin, Ovidie revient sur ses combats personnels, ses zones d’ombre, sa passion pour les chiens, ses addictions légères (comme la cigarette), mais aussi sur son besoin d’humour et d’auto-dérision. Elle assume sa complexité, ses contradictions, et son profond attachement à l’humanité, malgré tout.

« Je ne suis pas une grande révolutionnaire, mais c’est ma manière à moi d’agir. »

À travers cette interview, Ovidie s’impose comme une figure essentielle du féminisme contemporain, oscillant entre radicalité et accessibilité. Par sa parole sincère, elle éclaire les zones d’ombre d’industries opaques, tout en tendant la main aux nouvelles générations. Son regard sur le monde est à la fois critique, tendre, et résolument tourné vers l’avenir.

En articulant ses engagements autour de la parole, de la représentation et du soin, Ovidie trace un chemin singulier, entre témoignage intime et réflexion politique. Un chemin que de plus en plus de femmes empruntent, et qu’elle contribue à rendre visible, audible, et surtout, légitime.